lundi 28 novembre 2016

"Non, non, ne t'inquiète pas, ça devrait aller !"





   Habituellement, Margaux prépare sa valise le dimanche soir avec beaucoup moins d’entrain. Plusieurs fois dans l’année, son poste de directrice informatique l’oblige à passer une semaine dans les filiales du groupe. Pour être d’attaque le lundi matin à 9H00, un départ la veille s’impose. Curieusement, ce dimanche, Margaux prépare sa valise avec légèreté et légèrement… D’habitude, lors de ses départs, sa petite amie, Estelle, doit secouer Margaux pour qu’elle se prépare …Et systématiquement, elles partent en retard en direction de la gare, Estelle se contentant d’un rapide baiser, avant que Margaux ne descende de la voiture arrêtée en double file, récupère sa valise et coure comme une kényane pour ne pas manquer son train. Mais ce dimanche, Margaux est très en avance. Ce départ, ce n’est ni pour la gare, ni pour le travail mais pour l’aéroport et Ibiza. Cette semaine en Espagne n’a pas pour objectif de fiabiliser le système informatique d’une nouvelle filiale, mais de fêter une année exceptionnelle pour cette start-up, créée il y a huit ans. Pour fêter l’explosion du chiffre d’affaires, la direction a su se montrer généreuse : une semaine à Ibiza pour les 55 collaborateurs ! « Open bar every day and night during all the trip ! » précisait le mail d’invitation.
Estelle n’adore pas l’idée de savoir Margaux une semaine à Ibiza sans elle. Bien sûr, elle lui fait totalement confiance, mais lors de dîners auxquels les conjoints ont été conviés, Estelle a remarqué que les employés de Topinformat répondaient très majoritairement à ce portrait-robot : femme, entre 25 et 35 ans, sportive, drôle et très célibataire … et plutôt libérée, à en croire les récits que les unes et les autres ont racontés. Alors, oui…Estelle s’inquiète. Margaux semble pressée de commencer cette semaine de réjouissances et les 54 participantes lui semblent être autant de tentatrices potentielles auxquelles résister pourrait être difficile. Durant le trajet en voiture, elle ne peut s’empêcher de lui poser la question qui trahit son angoisse : « Margaux…pas de bêtise, hein ? »
   Margaux prend quelques secondes avant de répondre : « Non, non, ne t’inquiète pas, ça devrait aller ».

   Estelle n’aime ni le silence entre sa question et la réponse de Margaux, ni son « non, non » qu’elle comprend plus comme un « non…sauf si… ». Elle déteste aussi l’emploi du conditionnel qui n’est pas le temps utilisé lorsqu’on est décidé à ne pas laisser l’espace d’une feuille de papier cigarette entre nos intentions et nos actes…




   Si elle en avait la possibilité, Estelle mettrait tout en œuvre pour empêcher le départ de Margaux…mais aucune idée ne se présente à elle pour l’annuler. Alors, elle dépose Margaux, en essayant de faire bonne figure devant ses collègues et en se montrant particulièrement proche et amoureuse pour envoyer clairement le message : « Pas touche, elle est à moi ! ».
« J’espère que ces pimbêches ne sont pas seulement des expertes du langage HTML mais décodent aussi le langage des signes et qu’elles ont un soupçon de moralité », pense-t-elle.
   Puis elle regagne sa voiture, assez pessimiste quant à la nature humaine.

   Le vendredi soir, Estelle arrive très en avance à l’aéroport pour accueillir Margaux. Très en avance, et très très anxieuse. Durant la semaine, elle a tenté de la joindre régulièrement…en se canalisant pour ne pas paraître trop insistante. La messagerie de Margaux s’est montrée beaucoup plus disponible que sa propriétaire… Alors, Estelle a laissé des messages qu’elle espérait guillerets. Deux fois, Margaux a rappelé et justifié son indisponibilité par un réseau capricieux : « Ça doit venir de l’opérateur espagnol », et par des journées durant lesquelles « Finalement on bosse pas mal, en fait », ce qui permettait d’écourter la conversation.

   Après une heure d’attente angoissée, Margaux apparaît enfin… Regard éteint, traits tirés, démarche mollassonne…Sa valise, si légère au départ, semble avoir pris du poids tant Margaux peine à la trainer. La semaine a dû être bien remplie…De travail…ou plus probablement de tequila et boîte de nuit.  Très longues nuits, sûrement…

   Estelle accueille Margaux avec un sourire inquiet. Elle fait tout son possible pour sembler naturelle devant le groupe et rire aux réflexions des unes, aux anecdotes des autres.

   Dans la voiture, et après avoir pris quelques nouvelles, Estelle ne résiste pas : « Margaux, tu as été sage ? »
 Incapable de mentir, Margaux se contente de répondre, en tournant la tête vers l’extérieur : « Oui, oui…globalement … ».

   La discussion qui suivit leur appartient…

   À ce jour, nous ne savons pas si le couple Estelle/Margaux existe toujours.

   Qui d’entre nous, dans un contexte équivalent, passionnément amoureux et investi dans la relation, n’aurait pas compris le sens caché d’un « Oui, oui ça devrait aller » et plus encore d’un « Oui, oui…globalement » ?
Personne, évidemment !

   Mais dans la vie professionnelle, combien de fois laissons-nous passer ces petits mots qui cachent une foultitude d’informations :
      - « Monsieur, je compte sur vous pour m’envoyer le règlement avant vendredi »
      - « Oui, oui pas de souci, vous devriez le recevoir sans problème ».

    Et nous raccrochons, contents de l’engagement de notre client et rassurés quant à la réception certaine du chèque.

   Et si nous avions creusé un peu, qu’aurions-nous appris ? Essayons :
     - « Je devrais le recevoir ? C’est à dire ? »
     - « Disons qu’avec les grèves, on n’est sûr de rien ! »  ou bien « Il faut que le directeur financier signe le chèque et actuellement, il est rarement là », ou encore « Si la logistique me confirme que la commande reçue est bien conforme à leur demande, alors oui, je vous envoie le chèque ».

   Et en management ?
     - « C’est bon pour toi Benoît ? Tout est clair ? »
     - «  Oui, oui… à priori pas de souci »
    - « Génial alors, bon boulot… Je passerai en fin de journée voir comment tu t’en sors »

   En fin de journée, lors de son passage, le manager constatera que Benoît est bloqué dans les starting-blocks :
       - « Benoît, ça n’avance pas très vite ! Que se passe-t-il ? »
       - « Ben, je galère parce que je ne maîtrise pas PowerPoint. D’habitude, je travaille avec Word ! »

   Naturellement, nous trouverons le temps de faire ce que nous aurions fait si nous avions eu l’information plus tôt…Avec trois heures de perdues et probablement un échange pas très agréable avec Benoît :
       - « Mais tu ne pouvais pas me le dire plus tôt ? »
       - « Facile à dire, t’es toujours à la bourre ! »
       - « Toujours est-il qu’on vient de perdre une journée ! » etc, etc…

   On rembobine la bande et on se retrouve huit heures plus tôt :
       - « C’est bon pour toi Benoît ? Tout est clair ? »
       - « Oui, oui… à priori pas de souci »
       - « A priori, c’est à dire ? »
       - « Ben ouais, euh…à priori si PowerPoint est assez intuitif car je n’ai jamais utilisé ce logiciel ».

   Que serait-il advenu si nous avions relancé ces réponses dissonantes ? Nous serions passés de situations obscures à des situations plus éclairées, nous permettant ainsi de mieux les gérer.

   Écouter vraiment nécessite une discipline et un peu d’observation.
   Une discipline pour ne pas interrompre celui qui s’exprime et de l’observation pour repérer les dissonances verbales.
    En les relançant, nous gagnerons beaucoup de temps en sécurisant, précisant, modifiant une consigne, un plan d’action, une attente client…
   Parfois nous serons embarrassés, découvrant une situation compliquée et difficile à résoudre. Mais il vaut mieux la mettre le plus vite possible à jour et pouvoir la gérer avant qu’elle ne devienne encore plus compliquée !

Et vous, qu’en pensez-vous ?

Bonnes réflexions.

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