Ça ne s’arrêtera donc jamais ! Déjà deux
semaines que le robinet de la cuisine goutte. Si au moins,
il pouvait goutter en silence ! J’ai trouvé une astuce…J’ai placé une
éponge au fond de l’évier. Juste en dessous du mitigeur… Ça goutte, mais au
moins, ça ne m’agresse plus les tympans.
Je suis
un petit bricoleur du dimanche et consultant en management la semaine. Changer
un joint, je sais faire. Avec difficulté et beaucoup de temps, mais je sais
faire. D’ailleurs, dès que je me suis aperçu que le robinet fuyait, je suis
allé immédiatement changer le joint. Ma réactivité m’a étonné. Comme quoi, en
vieillissant, on se bonifie. Parfois. Mais en changeant le joint, j’ai bien
compris que je mettais un peu de mercurochrome sur mon front pour calmer ma
migraine… Le tartre est partout ! L’acidité de l’eau a tout rongé…Tout
bouffé. Et comme disent - trop- souvent les
artisans : « C’est mort, faut tout changer ». Je me suis
renseigné, sur Internet. A la requête « Changer un robinet » :
418 000 réponses en moins d’une
seconde ! Je vais trouver mon bonheur. Je clique sur www.devisrapide.com :
un devis rapide pour l’intervention moins rapide d’un plombier. Verdict :
déplacement, main-d’œuvre, fourniture du robinet : 395 €. Il est en
platine leur robinet, ou quoi !
Hors de question d’investir une somme
pareille et aucune envie non plus de gâcher mon week-end à faire de la
plomberie. Il fait enfin beau et j’ai besoin de prendre l’air. C’est décidé, je
changerai le robinet lundi matin. Dans mon agenda pas de rendez-vous, seulement
de l’administratif, je trouverai un moment dans la semaine pour m’en occuper.
Lundi
matin, la maison est vide et calme. Eugénie, Apolline et Auguste sont en en
cours. Je m’octroie la matinée pour régler son compte à ce robinet déloyal.
Première étape : rechercher un tutoriel. Je me rends sur le site Youtube
et je tape sur mon clavier « Comment changer un robinet ? ». Je
regarde attentivement une des nombreuses vidéos. Apparemment, ça a l’air
facile. La jeune femme de la vidéo procède au changement d’un robinet avec le
sourire… Les écrous ne résistent pas, les tuyaux sont accessibles, les outils
ne glissent jamais de ses mains, l’évier est parfaitement propre et semble
neuf, le placard au-dessous de l’évier est vide, la luminosité optimum et le
jeune homme qui l’assiste pour lui passer les bons outils ne se trompe jamais…
Elle est contente d’elle, la jeune femme de la vidéo. A la fin, elle sourit
« Voilà, c’est fait. A vous de jouer maintenant ! ». Je suis
allé jouer. Pour commencer, un aller/retour chez Bricoltout. Je m’offre un
robinet nouvelle génération, toutes options. La Rolls ! Avec l’économie
réalisée en remplaçant moi-même le robinet, je peux m’en offrir un à faire
pâlir de jalousie ma mère. Une heure
plus tard, je suis de retour à la maison. Avant de me retrousser les manches et
de passer à l’action, je m’offre un deuxième visionnage de la vidéo. Je peux
maintenant commencer. Il y a autant de
similitudes entre la cuisine sur la vidéo et la mienne qu’entre le cerveau
d’Einstein et celui de mon beau-frère, qui est gentil quand même. Manquerait
plus qu’il morde ! Dans cette cuisine, on n’y voit rien ! Une unique ampoule
est supposée éclairer la pièce… Je pars en expédition spéléo
sous l’évier, armé d’une lampe torche dont les mauvais contacts créent une
alternance de « jour…nuit…jour…nuit…jour…nuit ». Sous l’évier,
cohabitent des sacs poubelles, un seau dans lequel une serpillière suspecte a
totalement séché, prenant la forme d’un champignon géant hallucinogène,
des produits ménagers… C’est presque une surprise de voir tous ces produits.
Savais pas que j’en avais autant… Souvent
en triple exemplaires et tous entamés. Faudra revoir la gestion des stocks.
Libérer l’espace pour pouvoir m’y introduire m’a déjà pris le temps nécessaire
à la jeune fille de la vidéo pour nous dire bonjour , changer le
robinet et nous souhaiter un agréable moment de bricolage. Je rentre la tête
dans l’antre. Ça sent l’humidité et le rance. Je me contorsionne. J’ai mal au
dos et je me sais ridicule. Et
meeeeeeeeeeerde ! Pas d’écrous ! Les tuyaux sont directement soudés
sur le robinet … J’aurais dû m’en douter. La plomberie date de la construction
de la maison : 1873.
En la
visitant, j’ai eu un coup de cœur qui a assommé ma raison. C’est bien pour ça que je l’ai achetée.
Maintenant, il faut assumer ! Fortement contrarié, je remets tout le bazar
extrait quelques minutes plus tôt du placard sous l’évier. Mais ça ne rentre
plus ! C’eût été trop beau. Pourtant ça rentrait il y a dix minutes. Les
bouteilles auraient-elles grossi à l’air libre ? Je transvase le contenu
des bouteilles presque vides dans d’autres bouteilles un peu moins vides. Osant
même quelques cocktails improbables… Pschitt pschitt pour les vitres avec une
solution à base de vinaigre blanc et le contenu jaunâtre d’une vieille
bouteille d’eau minérale dans laquelle un jour, quelqu’un a dû transvaser un
produit à ce jour non identifié…et non identifiable à l’odeur. J’ai peut-être
inventé un truc sympa … ou une bombe. Maintenant ça rentre ! Je passe un
coup de serpillière pour éponger mes maladresses lors des transferts de
liquides et je retourne chez Bricoltout rendre le luxueux robinet acheté deux
heures plus tôt. Le vendeur me reconnaît et il me semble discerner dans son
regard un mélange d’agacement et de moquerie. Je rentre à la maison, il est
11h45…Pas le courage de me mettre au travail. Je commencerai à bosser à 14h.
Les semaines ont passé… Les mois aussi. Peu à
peu, l’écart entre chaque goutte s’est considérablement réduit. De 10 secondes
à …plus rien. Le goutte à goutte s’est transformé en un petit filet d’eau qui
s’écoule en permanence. L’éponge pour amortir le bruit ne suffit plus depuis
bien longtemps. J’ai trouvé une autre solution : je ferme la porte de la
cuisine.
Ce matin
j’ai reçu ma facture d’eau. En six mois, ma consommation a triplé. Le montant
de la facture aussi. Je ne me permets pas d’être énervé. Pas les moyens. Je
garde mon énergie pour payer la douloureuse et valider le devis de
www.devisrapide.com qui entre-temps a augmenté de 60 €. Bilan de l’opération : une matinée de
perdue et 245 € sottement dépensés en surcoût de consommation d’eau de
plus de 185 € et l’augmentation du coût de la prestation du plombier.
Ne
sommes-nous pas trop souvent tentés de mal investir du temps sur des tâches qui
ne font pas partie de notre mission ou du métier de notre entreprise ?
Que
penser de ce restaurateur qui investit chaque matin du temps et du carburant
pour aller acheter des boissons chez un grossiste afin d’économiser 21 euros en
frais de livraison…laissant durant ce temps son établissement sans capitaine au
moment crucial de la préparation du service de midi ?
Que dire
de ce réseau de magasins, cherchant à « faire du résultat » par le
bas – la gestion-, plutôt que par le haut –le CA – et qui demande à ses
vendeurs de nettoyer les vitrines de la façade
une fois par semaine pour remplacer l’entreprise qui s’en
occupait : une économie d’une heure d’une prestation rapide et maîtrisée,
remplacée par deux heures de nettoyage mal maîtrisé. Il reste des traces…Eh
oui, nettoyer une vitrine, c’est un métier ! Pour cette fausse économie,
combien de clients potentiels pas ou mal accueillis et qui, naturellement,
n’achèteront rien ?
Si nous
prenions le temps de redéfinir précisément nos trois/quatre missions qui
contribuent à 80% à l’atteinte de nos objectifs et acceptions de ne pas
passer du temps sur des actions éloignées du cœur de notre métier ? Avant
d’atteindre la perfection sur l’ensemble de notre poste, assurons-nous
d’investir tout notre temps sur nos missions prioritaires.
Et vous qu’en pensez-vous ?
Bonnes
réflexions.
Rémi
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