J’ai longuement hésité avant
d’écrire ce billet car il aborde un sujet sensible. Je suis conscient des
réactions qu’il pourrait provoquer : rejet, incompréhension voire
colère. Pour autant, le sujet est
suffisamment important pour ne pas faire l’impasse. Important car il peut
parfois permettre de comprendre certains agissements de nos collaborateurs.
Commençons par une histoire
vraie :
Antony Delon et sa fille Alyson ont dernièrement été au cœur de
l’actualité people. Ils ont décidé récemment de renouer des liens alors qu’Alyson
vivait des moments difficiles.
Antony est né le 30
septembre 1964 à Hollywood de Nathalie et Alain Delon. Comme disent les
« jeun’s » aujourd’hui « trop de la chance ». En effet, on
pourrait le penser : le petit Antony ne pouvait vivre qu’une enfance
dorée. Des parents célèbres, un environnement luxueux, une sécurité financière
évidente, les meilleures écoles auraient dû lui garantir une vie paisible et
facile.
Cependant, les évènements se sont déroulés très différemment :
Antony a quatre ans lorsque ses parents se séparent. Son père poursuit
sa vie avec Mireille Darc et laisse le soin de l’éducation d’Antony à Nathalie.
Occuper par les tournages de films, les festivals, les mondanités, les tournées promotionnelles et ses
innombrables histoires d’amour, Alain a bien d’autres choses à faire que
d’éduquer un petit garçon.
Antony vivra douloureusement cette situation d’abandon. Il se décrit
lui-même comme un enfant associable et
rebelle. (1)
Dépassés par les comportements agressifs d’Antony, ses parents
l’envoient dans des internats de plus en plus strictes et sévères, espérant
qu’il sera canalisé. Mais, plutôt que de le calmer, ces longues et nombreuses séparations
vont contribuer à l’entraîner vers la délinquance.
En février 1983, âgé de 18 ans, Anthony est arrêté à bord d’un BMW
volée et en possession d'un pistolet automatique.
Antony raconte que ce jour-là, son père est arrivé en moins d’une heure
pour le faire sortir du commissariat de police et qu’il a pris, sur le
trottoir, quelques mètres plus loin, une raclée mémorable.
On pourrait penser que cette raclée et un mois d’incarcération à la
prison de Bois d’Arcy lui auraient remis les idées en place. Pourtant, Antony
continuera jusqu’à l’âge de 24 ans à enchainer les mauvais coups jusqu’au décès
par balle d’un de ses amis et « associés » lors d’une rixe sur le parking d’une
discothèque.
Pourquoi ce jeune homme, né
avec une cuillère en or dans la bouche, s’est-il, pendant des années, enfoncé
dans la délinquance ? La réponse, il la donne dans son livre (1) :
« J’avais compris une chose essentielle. A chaque fois que je déconnais,
mon père rappliquait sur le champ. En revanche, lors des périodes d’accalmies,
mon père reprenait le rôle que je n’aimais pas : celui de l’absent. Sans
le vouloir, j’avais trouvé la méthode pour le faire réagir et attirer son
attention. Les conneries à profusion…Il allait être servi ! Je préférais
être avec lui me donnant une raclée que de me sentir abandonné loin de
lui ! Entre l’indifférence et l’absence ou les coups et les insultes, le
choix s’imposait comme une évidence. Un peu comme si à travers mon inconscient,
ma peau recevait ses baffes comme des caresses et ses injures comme une douce
mélodie fredonnée à mes oreilles. Lorsque l’on a rien à manger depuis trois
jours, de la rutabaga crue a le goût du meilleur caviar.»
Antony préférait donc vivre
dangereusement pour attirer l’attention et la présence de son père plutôt que
de vivre en enfant sage, mais loin de lui. Sa solution était destructrice mais
elle lui permettait d’atteindre son objectif inconscient : être regardé
par son père…même dans un contexte difficile et dans une relation négative.
Imaginons qu’à l’époque, nous lui ayons posé la question
suivante : « Ça te plait de risquer ta vie et de faire de la
prison ? ». Il aurait répondu
« NON !». Et pourtant, il récidivait.
Pourquoi ? Quel était son bénéfice à se mettre dans de telles
situations ?
Exister pour son père, ne pas se sentir abandonné et délaissé, comme il
le raconte aujourd’hui.
Voilà notre notion de
bénéfice secondaire.
Une précision sur le mot « bénéfice ». Dans notre cas, un
bénéfice n’est pas systématiquement… bénéfique, mais ce que l’on retire d’une
situation. Il peut donc être positif ou négatif.
Dans l’histoire d’Antony Delon, il y a deux bénéfices :
D’abord, un bénéfice primaire qui est négatif : arrestation, prison…
Ensuite, un bénéfice secondaire qui, en revanche est positif :
attirer l’attention de son père et être proche de lui…Même à travers une
relation conflictuelle.
Antony avait bien conscience à 18 ans du bénéfice primaire très négatif
et douloureux. S’Il persévérait à commettre des délits c’est que, sans en avoir
vraiment conscience, le bénéfice secondaire positif était plus important
encore. Le prix à payer du bénéfice primaire –les baffes – était moins élevé que
la rémunération du bénéfice secondaire – la relation avec son père -.
L’investissement était rentable !
S’il avait eu à cette époque conscience de ce qu’il recherchait
vraiment, il aurait sans doute parlé à son père pour lui dire qu’il avait
besoin de lui. Mais timidité, pudeur et immaturité l’en empêchaient.
Le plus étonnant, c’est que
ce scénario se reproduit aujourd’hui avec sa fille Alyson : elle a tenté à
maintes reprises d’attirer l’attention de son père jusqu’à lui intenter un
procès. Heureusement, aujourd’hui à 51 ans –mieux vaut tard que jamais – Antony
a tiré les leçons du passé et a renoué la relation avec sa fille.
Que retenir de cette
histoire et de cette notion de bénéfice primaire ou secondaire ?
Souvent, nous ne commettons pas des actes insensés par bêtise mais pour
en retirer un bénéfice secondaire important voire vital.
La mécanique, bien entendu, est souvent totalement inconsciente et
invisible pour celui qui la met en place.
Nous avons tous croisé dans notre vie, des personnes emprisonnées dans
des « stratégies d’échecs », qui se mettent dans des situations invraisemblables
ou dangereuses…pour le bénéfice secondaire, qu’elles ne perçoivent pas
toujours.
Retour dans la vie
professionnelle :
Marie est réceptionniste dans un palace parisien. Vingt-sept ans de
fidélité et une ponctualité à faire pâlir un mécanisme de montre helvétique.
Grèves des transports en commun, circulation ultra-dense ou enfant ayant la
bonne idée de se faire mal deux minutes avant le départ pour l’école … peu
importe les circonstances, Marie a toujours été à l’heure. Toujours ? Plus
tout à fait depuis six mois. Un mardi, elle est arrivée avec dix minutes de
retard. Thomas, le directeur de la conciergerie, l’a remarqué. Responsable, il
a décidé de lui en parler. « Dix minutes de retard en vingt-sept ans, ne
se gère pas de la même façon que cinq retards par mois » pensait-il. Il a
voulu, comme il le dit « jouer la manière douce ». Un peu avant midi,
il est allé voir Marie :
- Marie, si vous êtes libre pour déjeuner aujourd’hui, ça me ferait
plaisir de vous inviter.
Marie a rougi, toussoté, bégayé et accepté.
Durant le déjeuner dans une belle brasserie, Thomas a été très à
l’écoute de sa réceptionniste. Marie a eu le plaisir de lui parler longuement
de sa passion pour le jardinage et Thomas s’est extasié devant les photos de
Grégoire, le petit-fils de Marie : Grégoire à la piscine, Grégoire au ski,
la rentrée des classes de Grégoire, Grégoire déguste sa première huitre,
Grégoire déguisé en vampire pour Halloween. Au moment du café, Thomas a
déclaré :
« Marie,
je ne vous l’ai jamais dit, mais avoir une réceptionniste ponctuelle, ça vaut
de l’or pour nous. Vous avez été exemplaire depuis votre entrée dans la
« maison ». Ce matin, j’ai constaté un petit retard. Rien de grave,
mais je préfère vous
en parler. »
Marie a expliqué la panne de métro et présenté ses excuses. Thomas a
compris la raison du retard et excusé Marie. L’un et l’autre ont repris le
travail.
Durant l’après-midi, l’inconscient de Marie a phosphoré plus que
d’habitude : « Alors voyons…Vingt-sept ans de ponctualité et pas un remerciement,
pas un compliment…RIEN ! NADA ! Un retard de dix minutes…et une heure
trente en tête à tête avec mon manager, un déjeuner offert, une longue écoute
sur mes passions et la joie de parler de mon petit-fils ! »
Depuis ce jour, Marie est malchanceuse : elle ne parvient plus à
être ponctuelle. Un métro en panne, c’est pour elle ! Un quartier bloqué à
cause d’une fuite de gaz, c’est pour elle ! La porte de son appartement
qui claque alors qu’elle a oublié ses clés à l’intérieur…C’est pour elle !
Thomas ne l’invite plus depuis longtemps à déjeuner à chacun de ses
trop nombreux retards. Mais il lui consacre un peu de temps, chaque jour. Pour
l’engueuler. Marie, émotive, pleure lorsque Thomas la sermonne. Elle sait bien
elle, qu’elle ne fait pas exprès d’arriver en retard. Pas de sa faute si...le
métro…la fuite de gaz…la porte de l’appartement… Et pourtant, demain Marie sera
encore en retard. Sa conscience se plaint, pleure, gémit et se justifie…Son
inconscient se frotte les mains et est enfin heureux : Thomas s’occupe d’elle.
Curieusement, Marie n’est jamais en retard lorsqu’elle a rendez-vous
avec Karine, sa meilleure amie…qui lui accorde du temps et de l’écoute.
Dans notre management,
sommes-nous certains de mettre de l’engrais là où il le faut ?
Et du désherbant, là où c’est nécessaire ?
Nous avons tous besoin d’être regardé. Enfant ou adulte, homme ou
femme, européen ou asiatique, employé ou directeur général…Refuser cette idée
qui peut parfois nous gêner – je n’ai besoin de personne !-, n’enlève rien
à ce besoin essentiel qui d’une manière ou d’une autre doit être satisfait.
L’engrais, c’est le temps et l’écoute active que nous accordons à nos
collaborateurs lorsqu’ils jouent la bonne partition.
Le désherbant, ce sont les secondes comptées et l’écoute passive avec
lesquelles nous devons gérer les sorties de route comportementales.
Lorsque nos collaborateurs s’investissent sur nos consignes,
pensons-nous à épandre de l’engrais ? Si nous ne le faisons pas, la terre
s’appauvrit et peu à peu devient stérile. Le collaborateur ralentit, s’arrête
et démissionne. Parfois contractuellement. Parfois, juste dans sa tête.
Et lorsque nos collaborateurs sont « hors-jeu », savons-nous
mettre quelques gouttes de désherbant sur le comportement que nous voulons voir
disparaître ? Ou au contraire, y mettons-nous de l’engrais, en passant
trop de temps avec le collaborateur hors-jeu et en l’écoutant longuement ?
Avec le risque évident du bénéfice secondaire !
Et vous qu’en pensez-vous ?
Bonnes réflexions.
(1)
Le premier maillon, Michel
Lafon, 2008
Vous l’avez
bien mérité. Si, si, vraiment !
https://www.youtube.com/watch?v=2XthPZg79e4
https://www.youtube.com/watch?v=2XthPZg79e4
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